Chimie associée à la formation stellaire Chimie associée à la formation stellaire
Quelle est l'origine des molécules essentielles à la vie telles que les acides aminés observés dans les météorites du Système Solaire? Comment les précurseurs de ces espèces se sont-ils formés et ont évolué au cours des étapes de gestation d'une étoile? Grâce à Herschel, il sera possible d'étudier les signatures de nombreuses espèces chimiques, et ainsi déterminer la composition de l'environnement d'embryons stellaires à différents stades d'évolution, ce qui permettra de mieux comprendre l'évolution chimiques des régions de formation stellaire, en particulier celles de type solaire.
Un milieu a priori hostile à la chimie
L'environnement d'une étoile en formation n'apparaît pas vraiment comme un lieu de villégiature pour espèces chimiques. Pendant la phase pré-stellaire (voir "Formation stellaire"), la température est inférieure à 30 K (environ -240 degrés Celsius) et la densité y est très faible, similaire à celle obtenue dans ce qui est considéré comme un vide en laboratoire sur Terre. Au cours de l'évolution de l'embryon stellaire, celui-ci développe d'une part de puissantes éjections de matière créant des zones de chocs qui ne paraissent pas non plus propices à la formation des molécules. D'autre part, l'embryon émet un rayonnement ultra-violet (UV) dont l'énergie élevée est plutôt destructrice des liaisons chimiques. Les molécules sont donc confrontées à de sérieuses difficultés pour se former et survivre.
La nébuleuse de Pacman avec zoom sur un des nuages très froid et peu dense, région typique qui deviendra le berceau d'une future étoile. Crédits: Steve Cannistra (StarryWonders) / NASA, ESA, The Hubble Heritage Team, (STScI / AURA) and P. McCullough (STScI).
Image combinée du jet HH111 observé dans le visible, et de la proto-étoile à l'origine de ce jet vue en infrarouge, illustrant le chamboulement de l'environnement protostellaire. Les puissants jets émis par la protoétoile ont des vitesses de plus de 100 km/s, ce qui compresse la matière environnante, donnant lieu à des zones de choc (flèches turquoises). Les pointillés blancs matérialisent le disque (zone sombre de l'image infrarouge) entourant la proto-étoile.
Vue d'artiste d'un disque protoplanétaire entourant une protoétoile âgée de quelques centaines de milliers d'années, irradiant le disque d'un rayonnement UV (flèches mauves) destructeur. Crédits: NASA.
Malgré cela, les télescopes au sol et les observatoires spatiaux qui ont précédé Herschel ont déjà permis de détecter de nombreuses espèces (environ 150 à ce jour, voir par exemple http://www.astro.uni-koeln.de/cdms/molecules pour une liste complète). Ces observations ont également permis de proposer une évolution des molécules au cours de la formation d'une étoile, comme le montre l'illustration ci-dessous.
Représentation schématique de l'évolution de la matière depuis la phase de coeur préstellaire jusqu'à la phase d'effondrement de l'enveloppe en un disque protoplanétaire (en bleu). La formation des molécules organiques de génération 0 et 1 est indiquée par les chiffres correspondants, et les molécules de seconde génération, présentes dans la région interne où la température atteint 100 K et où la plupart des espèces s'évaporent de la surface des grains, sont désignées par le 2. Les grains ont une taille typique de 0,1 micromètres et ne sont pas dessinés à l'échelle. Les échelles de température et densité représentent l'enveloppe mais pas le disque. Les manteaux de glace des grains s'évaporent à l'intérieur d'un rayon de sublimation dépendent de l'espèce. Pour la glace d'eau et les molécules organiques complexes qui y sont piégées, cette limite est aux alentours de quelques unités astronomiques pour une proto-étoile de type solaire. (Crédits: E. van Dishoeck & R. Visser).
Pendant la phase pré-stellaire ("precollapse", c'est-à-dire précédant l'effondrement d'un nuage froid) les molécules se collent ("freezeout") aux grains de poussières, où elles peuvent réagir avec d'autres espèces, souvent l'hydrogène (par exemple: CO + H -> HCO ; HCO + H -> H2CO ; H2CO + H -> CH3OH : voir "O" sur l'illustration). Par la suite, en fonction de la force de liaison des espèces avec le grain, celle-ci seront évaporées plus ou moins proche de la protoétoile ("1" et "2").
L'observation des molécules
Les régions de formation stellaire sont souvent qualifiées de laboratoires uniques abritant une chimie exotique. Malheureusement ces laboratoires sont inaccessibles, et on ne peut donc pas prélever d'échantillon pour en analyser la composition. C'est alors qu'on utilise les télescopes et les spectromètres associés comme microscopes astrophysiques.
Les liaisons entre les atomes formant une molécules ne sont pas rigides. Suivant le type de liaison (simple, double, triple) et le type de molécule (molécules à deux atomes ou à plus de deux atomes), celle-ci peut être soumise à un ou plusieurs mouvements de vibration comme l'élongation (la liaison agit comme un ressort), le pliage (variation de l'angle formé par deux liaisons), le balancement (variation de l'orientation d'un groupe d'atomes par rapport au reste de la molécule). De plus, elle peut également subir une rotation autour d'une liaison ou autour d'un axe perpendiculaire à une liaison.
A gauche, la molécule de cyanure de méthyle ou acétonitrile (CH3CN) effectuant une rotation autour d'un axe matérialisé par la liaison C-N. A droite, l'acide formique (HCOOH) effectuant une rotation autour de la liaison C-H. Code couleur: les atomes d'hydrogène et de carbone sont représentés en gris clair et gris foncé, l'oxygène est en rouge et l'azote en bleu.
Ces mouvements produisent des rayonnements à des fréquences bien précises (les transitions), caractéristiques de la molécule en question. Chaque espèce possède donc une empreinte digitale qui permet de l'identifier et qu'on peut relever grâce aux spectromètres. Quelques écueils parsèment cependant la route menant à l'identification des molécules : - les fréquences caractéristiques doivent être connues: cela demande de pouvoir synthétiser les molécules en laboratoire afin d'effectuer les mesures de fréquences, un travail dont la complexité augmente avec celle des molécules, et qui n'est à l'heure actuelle réalisé que par une poignée de laboratoires comme le CDMS (Cologne Database for Molecular Spectroscopy - http://www.astro.uni-koeln.de/cdms), le JPL (Jet Propulsion Laboratory - http://spec.jpl.nasa.gov/), ou le PhLAM (Laboratoire de Physique des Lasers, Atomes et Molécules - http://www-phlam.univ-lille1.fr/) - toutes les empreintes sont superposées et certaines transitions ont des fréquences très proches, donc il peut être difficile de les distinguer si la largeur des canaux du spectromètre utilisé n'est pas assez petite.
Spectres du CH3CN (en bleu) et de HCOOH (en rouge) modélisés par le logiciel CASSIS (http://cassis.cesr.fr/). Si on pouvait observer une région ne contenant que ces deux molécules dont les abondances seraient identiques à celles utilisées pour calculer le modèle, on obtiendrait le spectre en noir qui illustre la difficulté à discerner certaines transitions, notamment entre 789,75 et 789,80 GHz.
Néanmoins, la spectroscopie est un moyen très puissant pour détecter simultanément de nombreuses espèces, en particulier grâce aux spectromètres à haute résolution spectrale, comme le module HRS (High Resolution Spectrometer) de l'instrument HIFI[lien vers la page] (Heterodyne Instrument for the Far-Infrared) qui est à bord d'Herschel. De plus, les transitions observées permettent également de déduire l'abondance de l'espèce en question car, de façon schématique, plus une molécule est abondante, plus ses transitions sont intenses.
Superposition de deux spectres de CH3CN modélisés par CASSIS, avec le spectre bleu correspondant à une abondance de CH3CN plus élevée que celle utilisée pour produire le spectre gris.
Qu'allons nous déduire avec Herschel ?
Certaines molécules détectées sont très répandues à la fois sur Terre et dans les régions de formation d'étoiles, comme l'eau (H2O), le monoxyde de carbone (CO), le méthanol (CH3OH), mais aussi le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l'ammoniaque (NH3), l'acide acétique (CH3COOH, le vinaigre!), … alors que d'autres sont abondantes dans ces régions, mais pas sur Terre. De plus, les conditions physiques diffèrent largement de celle connues (et même reproductibles) sur Terre. On s'attend donc à une chimie dans les régions de formation d'étoiles très différente de celle connue sur Terre, mais quelle est-elle? Quelles réactions chimiques produisent les molécules plus ou moins exotiques observées? est-elle gouvernée? Comment déterminer la dépendance des vitesses de réactions en fonction de paramètres sur lesquels nous n'avons aucun contrôle?
Herschel va nous aider à répondre à ces questions en observant de nombreuses régions de formation stellaire dont les masses, luminosités, densités diffèrent et à différent stades d'évolution. De plus, les domaines de fréquences couverts par Herschel et encore inexplorés jusqu'à présent permettront certainement de découvrir d'autres espèces et de mieux caractériser celles déjà connues. Les observations d'Herschel, en combinaison avec des modèles chimiques, nous apporteront ainsi une meilleure compréhension de la formation des molécules (depuis les espèces les plus simples jusqu'aux acides aminés et protéines) et de leur évolution (depuis l'embryon stellaire jusqu'au système planétaire).
Les molécules listées sur l'image ont été détectée dans l'environnement des très jeunes protoétoiles de type solaire (comme celle identifiée par le cercle rouge sur l'image du nuage de Rho Ophiuchus, à gauche) et dans des comètes de notre Système Solaire comme Hale Bopp. Herschel nous apportera des éléments de réponse sur l'évolution chimique entre une telle protoétoile et son futur système protoplanétaire, comme celui représenté sur l'image de droite (vue d'artiste - Crédit : NASA/FUSE/Lynette Cook). Crédit Rho Ophiuchus: Jim Misti and Steve Mazlin, (acquisition), Robert Gendler (processing).
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