Les piliers de la création revisités par Herschel
Les colonnes de gaz des usines à étoiles
Les piliers de la création revisités par Herschel

Crédit: ESA, ESO & NASA

Les Piliers de la création, une image qui a fait le tour de tous les mondes, virtuels inclus, depuis sa première diffusion en 1995. Trois colonnes de gaz, verticales, qui émerveillent, transportent et émeuvent. Mais que cachent leur majestueuse opacité et leur nom ambigu ? L’observatoire spatial Herschel les démasque.

 

Certaines nébuleuses, énormes réservoirs de gaz interstellaire, érigent de gigantesques colonnes aux bords de cavités béantes, que des amas d’étoiles ont creusées en leur sein. On retrouve ces architectures étonnantes de gaz dans les nébuleuses de la Rosette, du Cygne ou de l’Aigle. Ces doigts crispés pointent tous vers l’amas d’étoiles géantes qui les éclairent de sa lumière ultraviolette intense comme si ce rayonnement était la cause de leur forme. Tel des orgues basaltiques révélées et sculptées par l’érosion, ces formes allongées semblent résister et se déformer au gré des assauts du rayonnement et de la gravité de l’amas d’étoiles. Sont-ils une manifestation de cette résistance ou représentent-ils le squelette d’un nuage de gaz interstellaire mis à nu progressivement ? Que s’y passe-t-il ?

Révélées sous une forme esthétique par la magie du traitement d’image, c’est à Hubble que nous devons la première carte postale de ces colonnes de gaz dans la Nébuleuse de l’Aigle, baptisés les « Piliers de la Création ». Que soutiennent-ils et à quelle création cachée participent-ils ?

 

L’éclairage d’Herschel

Lancé le 14 mai 2009, l’observatoire spatial Herschel procède à la cartographie de nombreux nuages de gaz moléculaire à l’intérieur desquels naissent les étoiles. En particulier, des programmes d’observation, coordonnés par des chercheurs du Laboratoire AIM Paris-Saclay et du CEA/Irfu, s’intéressent de près aux nuages moléculaires géants et à la formation des étoiles massives en leurs seins. Les observations sont menées à partir de deux instruments de détection, PACS et SPIRE, à bord d’Herschel. En captant le rayonnement infrarouge et submillimétrique qui est émis par l'intérieur des nuages moléculaires, ces détecteurs offrent un regard profond et inédit sur les nébuleuses.

 

Plusieurs cartographies d’Herschel en 2010 ont porté sur des régions du ciel qui produisent actuellement des étoiles géantes. Il s’agit entre autres des nébuleuses de la Rosette, du Cygne et de l’Aigle. Ces régions ne sont pourtant pas vierges d’étoiles déjà bien formées. Une première génération d’astres massifs y brillent et illuminent le reste du nuage moléculaire géant. Capter la première étape de la formation de la première étoile massive est donc illusoire. En réalité ces cartographies à champ large nous offrent la possibilité de dénicher de nouvelles poches de gaz accouchant d’étoiles, d’en mesurer leur masse et leur température, et de déterminer d’éventuelles relations de causalité entre l’activité des amas d’étoiles existant et la formation d’étoiles en cours. Herschel nous offre ainsi une vue générale de la formation stellaire à travers la production de cartes de température et densité, qui sont elles-mêmes construites à partir des données obtenues dans différents filtres des imageurs de PACS et SPIRE. Les piliers n’échappent pas à cette quantification physique du gaz et de l’activité préstellaire en cours. Auparavant les images de nébuleuses prises par Hubble nous offraient un spectacle opaque, un monde totalement impénétrable. On caressait la surface d’un regard prolongé par un instrument, puis on la maquillait de couleurs artificielles. Ces piliers sombres à l'allure majestueuse s'ouvrent enfin à nous.

 
Les piliers de la création revisités par Herschel

Gauche: les piliers de la création vus par le Kitt Peak 0,9 m dans le domaine visible. Les couleurs correspondent aux gaz atomiques (oxygène en bleu, hydrogène en vert, soufre en rouge). Droite: image infrarouge submillimétrique par Herschel. Crédit: Hill et al. 2012 ; programme HOBYS/Herschel/ESA.

L’écrin de la Rosette

La nébuleuse de la Rosette est située à environ 5000 années-lumière. Au centre, un amas d’étoiles géantes NGC2244 a ionisé le gaz interstellaire et l’a soufflé. La cavité ainsi formée se dilate au fur et à mesure que le gaz ionisé grignote le nuage moléculaire. A l’interface entre le nuage et la cavité, des structures ressemblant aux « piliers de la création » sont visibles. Mais ils n’apparaissent pas aussi majestueux dans notre mise en scène. Ils sont relativement petits par rapport à la taille de la nébuleuse. Une dizaine d’années-lumière par rapport à une bonne centaine pour le nuage complet. Certaines structures s’en détachent, ce sont les « globules » en forme de larmes. Herschel a dressé une carte de température de la Rosette, et en particulier des piliers et globules de gaz. La carte montre des nuages de gaz et de poussière dont la température varie de 10 à 40 Kelvins, soit de -260°C (rouge) à -230°C (bleu). Le code de couleur représente donc la "carte de température", sorte de thermographie infrarouge de ce nuage. Dans celui-ci, la densité moyenne du gaz y est très faible, quelques milliers de molécules dans un dé à coudre, soit 1 milliard de milliard de fois moins dense que dans l’air, autant dire le "presque vide". Mais ces nuages de gaz sont gigantesques, et leur volume total malgré une masse volumique très faible possède une masse équivalente à celle de 10 000 soleils. Que se passe-t-il dans les piliers ?

 
Les piliers de la création revisités par Herschel

Légende : image de la Rosette vue par Herschel en 3 couleurs (=3 fitres) superposée sur l’image noir et blanc dans le visible. L’amas d’étoiles massives, la cavité qui l’entoure, et le reste du nuage moléculaire apparaissent. Les couleurs sur l’image Herschel sont représentatives de la température des poussières interstellaires, du bleu (autour de -240°C) et rouge (autour de -260°C). Crédit : Schneider et al. 2010, A&A ; ESA/Herschel PACS & SPIRE ; programme HOBYS.

Les piliers de la création revisités par Herschel

Droite haut : zoom sur la fin du filament et le pilier principal dans la Rosette. Gauche à droite bas : carte d'intensité de l’extrémité du filament et du pilier en bord du nuage moléculaire. Le code de couleur indique la densité du milieu du bleu (faiblement dense) à rouge (plus dense). Les ellipses indiquent l’emplacement de poches préstellaires de gaz. Chacune ne formera pas nécessairement une étoile. Le pilier apparaît plus dense que le filament. Carte de densité déduite. Carte de température en Kelvin. Crédit : N. Schneider, V. Minier & collaborateurs, programme HOBYS, ESA/Herschel.

D’où viennent ces piliers ?

En regardant l’intérieur des nébuleuses, Herschel dresse un même portrait. Les nuages de gaz interstellaire possèdent une sorte de squelette, une structure de filaments s’emmêlant les uns avec les autres. Les astronomes utilisent le terme de filament pour désigner d’énormes structures allongées de gaz diffus. Ne nous y trompons pas. Les filaments interstellaires ne sont ni fins ni fragiles. Ils font plusieurs dizaines d’années-lumière de long. Certains forment des étoiles, quand d’autres restent au repos comme s’il y avait une masse critique à atteindre pour qu’un filament s’écroule sous son propre poids et façonne des chapelets de poches préstellaires. D’où viennent les filaments ? Les mouvements turbulents du gaz interstellaire les auraient formés et déformés. D’où vient cette turbulence ? C’est une autre histoire. Elle pourrait être due à des explosions de supernovae, à des flots de gaz rejetés lors de la formation d’étoiles massives etc. Elle dénote le dynamisme latent du milieu interstellaire et du quasi vide ambiant.

 

Dans la nébuleuse de la Rosette, un des piliers apparaît connecté à un filament du nuage moléculaire. De là à imaginer que les piliers ne sont que la tête immergée d’un filament submergé, il n’y a qu’un pas vers une piste... Des simulations numériques ont donc été appelées à la rescousse pour déterminer quels mécanismes physiques œuvrent et dominent entre turbulence, gravité et rayonnement ultraviolet. Les mouvements turbulents créent un milieu hétérogène en provoquant la formation de zones plus ou moins denses. Le rayonnement UV provoque l’ionisation du gaz ce qui induit une augmentation de la pression. Les zones peu denses, donc peu massives sur un volume donné, sont repoussées. Les zones plus denses résistent. Enfin la gravité de l’amas de l’étoile peut jouer un rôle en attirant vers lui des zones plus denses qui se sont formées à l’interface entre le gaz interstellaire et le gaz ionisé à cause d’instabilités (de Rayleigh-Taylor).

 

Herschel nous livre un nouveau puzzle difficile à reconstituer, mais qui n’a rien de magique ou d’insurmontable pour la démarche scientifique.

 
Les piliers de la création revisités par Herschel

Simulation numérique des piliers. Crédit : Tremblin et al. 2011 ; HERACLES.

Les Piliers de la Création, un nom ambigu

Alors pourquoi recourir à l’écho métaphysique de l’expression « Piliers de la Création » pour décrire de tels objets ? Baptiser des morphologies interstellaires par des noms animaliers ou minéraux est assez commun. Il est clair que des étoiles sont fabriquées, en un sens, « créées » dans ces colonnes de gaz. Mais en astrophysique, on parle de formation stellaire et non de création stellaire. Avec l’expression des piliers de la création, n’est-on pas implicitement dans la référence religieuse d’un créateur qui apparaît à son peuple dans des manifestations majestueuses et terrestres, telles les colonnes de nuée de l’Exode ? Le jeu des couleurs utilisées, retravaillé dans la seconde version de l’image Hubble des piliers de la création, nous ramène d’ailleurs sur Terre. En mettant du bleu pour l’oxygène, du vert pour l’hydrogène et du rouge pour le soufre, et en retraitant les contrastes et la qualité de l’image, ces piliers ressemblent à des nuages atmosphériques pour les moins romantiques ou à des paysages d’un nouveau monde pour les plus aventuriers. Pourquoi avoir recours à un halo religieux pour dénommer des zones célestes quasiment vides ? Ne peut-on pas y voir des phares dont l'étoile naissante au bout du pilier abreuve l'univers de sa lumière encore pâle ? Un orage ténébreux pour le marin ? Les images brutes d’Hubble ou d’Herschel nous ramènent à un monde en noir et blanc ou faussement monocolore. Elles sont transformées en images dont les échelles de couleurs décrivent la valeur d’une quantité physique, et qui exhibent parfois les stigmates d’une analyse informatique. Comment trouver l’équilibre entre la création artistique, la poésie d’un titre et la rigueur scientifique, tout en s’attachant à transmettre la vérité, la captation instrumentale et des émotions ? Les « colonnes de gaz des usines à étoiles » auraient été un titre plus proche de la vérité scientifique !

 

En savoir plus:

Le communiqué de presse de l'ESA (en anglais)

Le programme HOBYS avec Herschel (en anglais)

Le code HERACLES sur la simulation numérique au CEA (en anglais)

Hill et al. 2012, Astronomy & Astrophysics

Tremblin et al. 2011, Astronomy & Astrophysics

Schneider et al. 2010, Astronomy & Astrophysics

Article "Herschel observe la naissance des étoiles" dans La Recherche, Avril 2011, p. 56, par V. Minier

 
#47 - Màj : 19/04/2012

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  • Pourquoi réaliser une étude démographique des étoiles ?
    [23:01] Anaelle Maury et Vincent Minier
  • Chiffres clés

  • Naines brunes :
    « Entre Etoiles & Planètes géantes »

    Masse entre 0.01 et 0.07 x la masse du soleil
    Durée de vie > 10 Md d’années
    Surface 1000-2000 °C
    Diamètre 100 000 km
  • Etoiles Naines Rouges :
    la majorité

    Masse < 0.5 fois la masse du soleil
    Durée de vie 10-100 Md d’années
    Surface 1000-3000 °C
    Diamètre 1 million de km
  • Étoiles solaires :
    notre Soleil
    Masse ~ la masse du soleil soit 2x1030 kg
    Durée de vie 10 Md d’années
    Surface 5000 °C
    Diamètre 1-2 million de km
  • Étoiles géantes ou massives : explosent en supernovae
    Masse >8 fois la masse du soleil
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