30 août 2010
Deutérium: du Big Bang à la chimie interstellaire
Détection d’eau lourde avec HIFI
Deutérium: du Big Bang à la chimie interstellaire

Figure 1: Molécule d’eau lourde (D2O).

L’eau lourde, ou oxyde de deutérium (D2O), est chimiquement similaire à l’eau (H2O), mais ses atomes d’hydrogène sont des isotopes lourds, à savoir du deutérium dont le noyau contient un neutron en plus du proton présent dans chaque atome d‘hydrogène. Des astronomes ont réussi à détecter cette forme particulière d'eau dans une parcelle du ciel où des étoiles sont entrain de se former. Ces observations ont été réalisées grâce à l'instrument HIFI sur Herschel. L'étude de l'eau ainsi que ses formes deutérées (HDO et D2O) devrait permettre de mieux comprendre les mécanisme de la formation stellaire à travers leur production dans un réseau chimique complexe à l'origine de la vie telle que nous la concevons sur Terre. Ces résultats font partie du programme CHESS (Chemical HErschel Surveys of Star-forming regions).

 

Le processus de fabrication du deutérium

Le deutérium est un élément important pour la compréhension de la formation de l’Univers en général. En effet, il s’est formé lors de la nucléosynthèse primordiale du Big Bang et est depuis détruit par les réactions nucléaires au sein des étoiles. Hormis lors du Big Bang il n’existe pas de processus de formation du deutérium. Cet élément est par conséquent un élément clé pour expliquer l’origine et même l’évolution de notre Univers en apportant des contraintes fortes sur les conditions physiques au cours des premières minutes de l’expansion de l’Univers et par conséquent de la densité baryonique (cf. Figure 2). Notons que les baryons les plus courants sont les nucléons, c'est-à-dire les protons et les neutrons qui composent la matière baryonique, c'est-à-dire la matière de l'univers observable. Il existe des différences notables dans les estimations d’abondance du deutérium atomique, différences pouvant être expliquées par les processus chimiques du milieu interstellaire permettant d’extraire de grandes quantités de deutérium qui est alors “piégé” par les molécules en phase gazeuse ainsi qu’à la surface des grains.

 
Deutérium: du Big Bang à la chimie interstellaire

Figure 2: Abondance prédites des différents éléments issus de la nucléosynthèse du Big Bang (4He, D, 3He, 7Li) en fonction du rapport baryons/photons η. Les bandes rayées horizontales résultent des observations. La bande verticale correspond à la densité baryonique déduite des observations du satellite WMAP amenant à D/H = 2.68 10-5 (Coc & Vangioni 2010, Big-Bang Nucleosynthesis with updated nuclear data) à comparer avec les observations récentes du VLT avec D/H = 2.82 10-5 (Pettini et al. 2008, MNRAS 391, 1499).

 

 

Le deutérium dans le milieu interstellaire

Les mesures d’abondance de deutérium sont difficiles à réaliser. Les molécules deutérées, qui contiennent un ou plusieurs atomes de Deutérium (D), sont en comparaison beaucoup plus faciles à observer, à notre grande surprise. Depuis la première détection d’une molécule deutérée en 1973 (DCN) un nombre de plus en plus élevé de molécules deutérées ont été détectées avec DCN, HDO, DCO+, HDCO, N2D+, etc...Une étape importante a été franchie avec en 1990 la première détection d’une molécule doublement deutérée, D2CO, en direction d’Orion avec une abondance relative élevée (D2CO/H2CO = 2.94 10-3), attribuée à une chimie active à la surface des grains.

 

Par la suite un grand nombre de molécules doublement deutérées ont été détectées dans le milieu interstellaire (D2CO, NHD2, CHD2OH, D2S, D2H+, D2CS, D2O) et même triplement deutérées (ND3, CD3OH), avec des abondances relatives d’environ 10-4, soit 11 ordre de magnitude par comparaison avec l’abondance D/H observé dans le milieu interstellaire local (~ 1.5 10-5).

 

Ces molécules deutérées sont de très bon traceurs des phases froides des nuages moléculaires avant l’étape de formation stellaire. Ces processus de fractionnement chimique proviennent de la différence des énergies de liaison moléculaire, due à la différence des énergies de vibration du point zéro. Cette différence est négligeable dans notre milieu mais importante aux températures des coeurs froids.
Les modèles de chimie en phase gazeuse permettent d’expliquer relativement bien les abondances de molécules simplement deutérées mais ne permettent pas d’expliquer les fortes abondances observées pour les molécules doublement, voire triplement deutérées. Les processus de chimie à la surface des grains doivent être alors pris en compte. La figure 3 explique très succinctement ces 2 processus.

 
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Figure 3: Processus de fractionnement en phase gazeuse et à la surface des grains. Les molécules deutérées piégées sur les grains sont alors relâchées en phase gazeuse lorsque qu’une étoile en formation proche réchauffe l’environnement et permet l’évaporation de ces molécules.

L’eau lourde dans le milieu interstellaire

L’eau (H2O) est la troisième espèce la plus abondance dans l’Univers et tient une place privilégiée dans l’étude de la formation stellaire, car synonyme de vie. L’eau a notamment un rôle important dans la chimie des atmosphères des exoplanètes. L’eau est très peu abondante dans les nuages moléculaires froids car “gelée” à la surface des grains, formant ainsi un manteau de glace. Les modèles théoriques actuels combinés avec les observations permettent de penser que l’eau s'est formée à la surface des grains présents dans les nuages moléculaires froids. On pense de la même manière que l’eau deutérée s’est aussi formée à la surface de ces mêmes grains et Herschel nous permet pour la première fois de tester les modèles théoriques en apportant une sensibilité unique à la fois pour H2O, dont l'observation est impossible depuis le sol du fait de la saturation des mesures par l'eau de notre atmosphère, et pour l'eau deutérée D2O. La molécule de l'eau lourde possède deux symétries, ortho et para (cf Figure 4), ce qui revient à avoir deux sous-types de molécules devant être traités indépendamment.


 

 
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Figure 4: Niveaux d’énergie pour les deux transitions fondamentales de l’eau.

 

 

La transition fondamentale du sous-type "para", à 316.8 GHz, a été détectée au James Clerk Maxwell Telescope (Hawaii, Etats-Unis) en 2007, dans la direction de IRAS 16293, une parcelle du ciel dans ρ Ophiucus où une étoile ressemblant à notre Soleil est en fabrication. La méconnaissance du rapport ortho/para ne permettait alors pas de déterminer une abondance totale (ortho + para) de l’eau lourde. Les données de l’instrument HIFI nous ont permis d’observer la transition fondamentale ortho a 607.4 GHz en direction de cette même source (Vastel et al. 2010, HIFI A&A Special Issue; Figure 5).

 
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Figure 5: Région rho-Ophiucus abritant la région de formation d’étoiles de faible masse, IRAS 16293 dans laquelle a été détectée l’eau lourde pour la première fois.

Des cartes de la poussière interstellaire, mêlée au gaz, ont été utilisées pour reconstruire la structure en température et densité de l’enveloppe de la source IRAS 16293. L’absorption du continuum par l’eau lourde est selon toute vraisemblance due à l'écrin froid qui entoure le coeur plus chaud au sein duquel est fabriqué la nouvelle étoile, enveloppe bien plus étendue que la région émettant le continuum.


Ces observations des transitions ortho et para permettent pour la première fois une détermination directe du rapport ortho/para de l’eau lourde, avec une limite supérieure de 2.6. Cette valeur peut être comparée à la valeur de Boltzman, entre 2 et 3, aux températures de l’enveloppe froide (entre 10 et 30 K). Néanmoins, D2O peut s’être aussi formé lors d’une phase antérieure, lorsque le gaz était bien plus froid, ayant eu le temps de thermaliser à la valeur de Boltzman. Les mécanismes d’échange de spin sont encore malheureusement peu connus, que ce soit en phase gazeuse par réaction avec des ions permettant un déplacement d’atome (cf Figure 6), ou encore à la surface des grains avec interaction des spins électroniques ou même nucléaires. Les molécules d’eau lourde peuvent au final se former avec une valeur du rapport ortho/para, puis “geler” à la surface des grains, pouvant alors modifier ce rapport, et enfin être relâchés en phase gazeuse.
L’abondance [D2O]/[H2] déduite de ces observations est de l’ordre de 2x10-11. Très prochainement, les observations avec l’instrument Herschel/HIFI des transitions de l’eau à très haute résolution de cette région devraient nous apporter d’autres arguments.

 
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Figure 6: Exemple d’échange de spin lors de la réaction entre D2O et l’ion H2D+.

#41 - Màj : 01/09/2010

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